La tour Saint-Jacques évoque le mystère, entretenu par le vide qui l’entoure
Privé de son église à la Révolution, l’ancien clocher résonne d’expériences multiples, alchimiques, scientifiques et industrielles. À la confluence du Paris médiéval et du grand dessein haussmannien, la tour Saint-Jacques, maintes fois restaurée, vit un destin romanesque.
L’ÉGLISE SAINT-JACQUES ET SON CLOCHER
Peu avant 1119 est fondée la paroisse Saint-Jacques. Bénéficiant de la grande activité suscitée par le trafic du Grand Pont et de la rue Saint-Denis, elle s’inscrit au cœur du quartier de la Grande Boucherie, qui donne son nom à l’église en 1259. Au milieu du XIVe siècle, l’église s’agrandit. La façade Ouest est achevée en 1491, alors que les travaux du nouveau clocher débutent en 1509 pour s’achever en 1523. Sa hauteur, 54 mètres jusqu’à la terrasse, et l’abondance de sa décoration sculptée expriment la puissance et la richesse de la paroisse. Le clocher témoigne de la persistance du style gothique à Paris. La complexité de sa décoration manifeste la somptuosité du gothique flamboyant, dans un enchevêtrement de gâbles, gargouilles, fleurons, pinacles… Des statues de saints agrémentent terrasse et flancs de l’édifice.
DU CLOCHER À LA TOUR À PLOMB
En 1797, l’église est mise en vente comme Bien National et détruite. Le clocher échappe par miracle à la destruction, mais devient tour orpheline, au milieu d’un terrain vague vite occupé par un bazar à fripes puis un marché en dur. La tour est convertie en fabrique de plombs de chasse « à l’anglaise ». Fondu au sommet, le plomb en fusion s’écoule en gouttelettes vers un bassin d’eau situé au rez-de-chaussée.
La conversion de la tour n’est pas sans dommage. Les voûtes et planchers intermédiaires sont supprimés ; les parois rapidement enfumées.
UNE TOUR SCIENTIFIQUE DANS UN DÉCOR HAUSSMANNIEN
Sous le Second Empire, le baron Haussmann réalise de spectaculaires travaux. Certains monuments comme la tour Saint-Jacques, deviennent le principal ornement d’une grande voie publique. Ainsi sont menés parallèlement les travaux d’arasement du quartier, de percement de la rue de Rivoli et du boulevard Sébastopol, de restauration de la tour et de création du square conçu pour sa mise en valeur. Restaurée par Théodore Ballu, la tour reçoit une affectation scientifique. En référence à Blaise Pascal sensé avoir tenté sur place quelques expériences en 1647, un jeune aéronaute investit les lieux avant d’y faire installer un observatoire météorologique en 1895. La météo y restera jusqu’en 2000.
UNE TOUR DE ROMAN
Si, dans son isolement, la tour apparaît comme un décor romanesque, elle le doit aussi à son histoire ésotérique. Un drôle de paroissien, Nicolas Flamel, fait office de saint patron des alchimistes. La tour hérite de son mystère, comme elle bénéficie de l’aura des pèlerins de saint Jacques, pourtant bien moins nombreux qu’on ne le prétend. On comprend pourquoi la tour devient au XIXe et XXe siècles un décor récurrent de roman et théâtre populaires et un support de rêverie dont les surréalistes feront leur totem.